L’excellent Eric Chalmel, qu’on ne peut soupçonner d’une malveillance particulière à l’égard de la municipalité et de sa Maire, ne comprend pas : quelle mouche a donc piqué Johanna Rolland d’aller se commettre à envisager de favoriser une première française, la construction d’un stade de foot de 40000 places sous maîtrise d’ouvrage et financement exclusivement privés, accompagnés d’un projet urbain d’ampleur certaine dont les bénéfices seraient affectés au financement dudit stade ?
La réponse est pourtant simple : parce qu’elle est convaincue que c’est l’intérêt de Nantes, place historique du foot français, de continuer d’être dotée d’un club de premier plan et d’un équipement permettant d‘accueillir les plus grands évènements sportifs comme les plus grands spectacles internationaux, tout autant qu’elle est déterminée à ce que pas un sous d’argent public local ou même national ne soit affecté à une opération d’investissement le permettant pour les 30 prochaines années. « Avant dix ans, on me reprocherait de n’avoir rien fait aujourd’hui » répète-t-elle légitimement.
Jusqu’alors, donnons en acte à notre étonné, et jusque récemment avec la vague de nouveaux stades construits à l’occasion de l’Euro 2016, et toujours pour les sports de salle, c’est la puissance publique locale, plus ou moins aidée par l’état, qui assumait investissement et, à des degrés divers, entretien, mises aux normes et modernisations. Sans parler des subventions de fonctionnement. Or cette époque est révolue. Elle aurait même du l’être avant que des métropoles se fourvoient dans des PPP hors de prix pour des stades dont la seule finalité, l’évènement Euro 2016 passé, est de constituer les centres de profits nécessaires au modèle économique du foot professionnel. La Cour des comptes a sévèrement évalué cette opération, considérant que l’argent public n’aurait jamais du porter ces investissements à des conditions où l’aléa sportif est un risque porté par les dites métropoles, et où jamais les loyers versés par les clubs ne pourront équilibrer l’ensemble de l’opération : les collectivités ne sont dans ce cas jamais en position de force dans la négociation du loyer, soumises qu’elles sont au chantage permanent des dirigeants de club (« Vous voulez être responsable de notre relégation ? »). Le sauvetage sportif in extrémis du LOSC évitant à Lille Métropole plus d’1,5 million d’Euros de perte sèche annuelle et les négociations marseillaises ou stéphanoises sur le mode de gestion des stades et le niveau de leur loyer en sont des illustrations peu réfutables.
La L1, un service public ?
On peut certes, et c’est ce qui taraude notre incrédule, contester, de préférence véhémentement, ledit modèle économique du foot business, dénoncer son inflation salariale délirante et les droits télés démentiels qui viennent de valoriser le spectacle pas toujours génial d’une L1 française à plus d’1 milliard d’Euro. Quel sage pourrait trouver cela raisonnable ? Mais dans ce cas, honorons Albert Mahé jusqu’à plus soif (il est Bretvin comme moi !), qui refusa de voter dans les années 80 le projet du futur stade de la Beaujoire au motif qu’il considérait que l’argent public ne devait pas contribuer aux salaires des footballeurs, déjà élevés à l’époque, quoi qu’infiniment moins qu’aujourd’hui. On cherche à faire passer la Beaujoire pour un « commun », un bien de la collectivité qui serait en passe d’être « privatisé ». Le joli conte que voilà ! La belle illusion ! L’habile trompe-l’oeil ! Certes, ce stade fait partie de l’inventaire des biens de la collectivité, de Nantes Métropole pour être précis. Mais à quel service public est-il aujourd’hui affecté ? La L1 aurait été promue à ce rang honorable sans qu’on m’ait averti ? Je m’esclaffe ! La vérité est qu’il est confié depuis bientôt 18 années au FCN qui en assume l’entretien courant (y compris la pelouse) en échange d’une exploitation exclusive. Le FCN paye à la collectivité une redevance effectivement trop modeste (dont le projet YelloPark rend de fait la nécessaire renégociation sans objet), fruit d’une négociation globale lors du vente du club à la SOCPRESSE en 2000 par l’association FCN. Le deal financier trouvé à l’époque comprenait aussi une subvention de plus 1M€ aujourd’hui quasi-disparue. Il laisse à la charge de la Ville, puis de la Métropole, les investissements du propriétaire. Bref, il en est de la Beaujoire comme des stades nouveaux de 2016, à la différence près que les financements d’état étaient incomparablement plus généreux à l’époque et que l’économie générale du foot ne pouvait se passer des subventions publiques locales et de leurs investissements. On peut donc dire que, dans le contexte de l’époque, Alain Chénard a profité, comme le fait Johanna Rolland aujourd’hui, d’une conjonction d’éléments favorables au maintien à Nantes d’un stade correspondant aux ambitions du club comme à son époque, pour les trente années qui suivaient et au meilleur prix. Affirmer que la vente de Louis-Fonteneau est une « privatisation » n’a donc de sens que sur le plan comptable ! Cela fait 18 ans que le seul droit de la ville est de payer des factures comme le renouvellement rendu obligatoire des sièges et de l’éclairage par les règlements de l’UEFA…
Veillons donc à être cohérent : on ne peut à la fois dénoncer les dérives du foot business et ses mafias et envisager sans rire que la collectivité finance une rénovation de la Beaujoire 1. Elle ne changerait rien à l’immoralité justement dénoncée du système et se contenterait de coûter fort cher au contribuable sans même satisfaire son club résidant et exploitant exclusif. Les inventeurs d’une rénovation se placent dans la situation ou des clients viendraient imposer à un commerçant les conditions matérielles de son exploitation, à ses frais et sans qu’il ait son mot à dire, quand bien même il serait convaincu de l’insuffisante rentabilité de son établissement ainsi rénové. On peut considérer que le foot pro c’est sale, et que Nantes s’honorerait à saborder son club emblématique au nom de la morale. C’est exactement ce à quoi conduirait la seule alternative existant aujourd’hui autrement qu’en rêve au projet YelloPark : le statu quo.