Avant de profiter du pont de l’Ascension, j’ai eu une drôle de semaine dédiée au dialogue citoyen.
Elle a commencé par une passionnante réunion de la Commission « Démocratie locale » de l’Association des Maires de Grandes Villes de France. L’occasion de s’étalonner sur une tentative commune à bien des villes sous des formes diverses, celle du tirage au sort de leurs interlocuteurs des instances de concertation et de participation. Amiens a ainsi constitué ses conseils de quartier de manière très similaire aux nôtres. Mais ils ont ajouté un « plus » : chaque habitant-e tiré-e au sort a reçu la visite d’un-e élu-e pour expliquer de quoi il s’agissait et encourager à la participation. Ils en retirent une proportion enviable d’acceptation et une participation plus durable et assidue que ce que nous constatons à Strasbourg ou à Nantes. Conclusion tirée en commun à partir de cet exemple et d’autres : nos dispositifs requièrent des moyens d’animation et une forte présence des élus comme des équipes de professionnels. La corrélation entre la dynamisme des instances et ces moyens (essentiellement du temps d’ailleurs…)est évidente. Il faudra faire des choix…

Loïc Blondiaux © RF / Igor Krtolica
Cette réunion a été l’occasion d’écouter Loïc Blondiaux, prof’ à Science-Po Paris, et membre de l’Institut de la Concertation où se fomentent nombre d’innovations dans le domaine et dont les recherches inspirent nos expériences. Toujours sur ce thème du tirage au sort, Loïc Blondiaux nous a opportunément rappelé que nous revenions là aux sources de la démocratie. Un rien provocateur, il nous a expliqué que l’élection étaient profondément anti-démocratique puisqu’elle revenait à nier que chaque citoyen a, par définition, une égale légitimité à gérer les affaires publiques. Elle est une manière de désigner une forme d’aristocratie, même si c’est sur une tout autre base que sur la naissance ! Rumeur dans la salle… En tous les cas, ce rappel aux grands anciens (la Grèce…) a eu le mérite de nous armer intellectuellement pour répondre à la question de la légitimité et de la représentativité des membres de nos conseils ou ateliers ! Ce qui compte c’est la diversité.
Revigoré par ces stimulants échanges, je suis sorti de l’Assemblée Nationale où avait lieu la réunion pour tomber nez à nez avec une manif’ d’opposants à l’aéroport de Notre Dame des Landes, montés à Paris pour la journée ! Oups ! Choisissant de me faire discret, j’ai changé de trottoir en regardant mes godasses l’air pressé et affairé. Pas de bol : s’étant mis discrètement à l’écart pour passer un coup de fil, un manifestant me reconnaît et me salue à haute voix ! Raté !
Au moins cet échange de politesse a-t-il été courtois, cordial et souriant.
Ce n’était plus la même ambiance deux jours plus tard au Centre Social du Bout des Landes… Au menu une réunion publique destinée à informer les riverains du chantier du nouvel immeuble du Conseil général des conditions de réalisation de ce chantier. Le long du boulevard Cassin et de la rue de Douarnenez, l’immeuble est intégré dans le projet urbain global du quartier, référencé à l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine sous l’appellation Bout des Landes-Bruyères. Je savais qu’un habitant avait décidé mobiliser contre ce projet et qu’il avait commencé à alerter voisins et médias. Son double leitmotiv : on ne savait rien et on ne veut pas qu’on touche aux arbres.
Tout notre travail autour du dialogue citoyen repose autour de l’idée d’associer efficacement expertises politique, technique et d’usage pour prendre les meilleures décisions possibles. Notre tâche a été jusqu’ici de convaincre détenteurs de la légitimité politique et de la compétence technique que prendre le temps d’associer l’expertise d’usage, celle des habitants, était une chance plus qu’une contrainte.
Nous nous sommes trouvés ce soir là devant un renversement de perspective : des habitants niant farouchement toute compétence aux techniciens comme aux élus. Notre volonté politique : du pipeau. La parole compétente et pédagogue des urbanistes et architectes : du vent. Nos arguments : des mensonges. Nos démonstrations : autant de manipulations. Avec en toile de fond une certitude : élus et techniciens étaient ligués contre les habitants pour leur imposer des choses non seulement contre leur gré mais dans le but de leur nuire, au plus grand bénéfice des bétonneurs.

En perspective vu du boulevard Cassin
De quoi s’agit-il : le Conseil général va regrouper à cet endroit accessible et commode pour les usagers, deux anciens Centre médico-sociaux et les services actuellement excentrés dans le parc de bureau de la Rivière. Outre une meilleure accessibilité pour les familles, notamment les bénéficiaires du RSA, la construction de ce petit bâtiment de 4 étages, labellisé Bâtiment Basse Consommation, permettra au Conseil général d’économiser des dizaines de milliers d’Euro de loyer. Plus éloigné de chacun des immeubles existants que ces immeubles entre eux, encore moins impactant pour le cadre de vie que les immeuble de logements en cours de construction quelques centaines de mètre plus loin, ce nouveau bâtiment s’intègre dans un projet urbain (cliquez ici pour accéder à toute la présentation : Le projet ANRU Bout des Landes Bruyères) dont la première caractéristique est de conforter et de sauvegarder le patrimoine vert du secteur. Il y aura plus d’arbres après qu’avant, des liaisons piétonnes plus agréables et sûres, et l’espace boisé sera bien mieux valorisé. Comme l’expliquait l’architecte du projet, tout a été imaginé en lien avec un groupe d’habitants volontaires sur la base d’observations de terrain, issues de la vie quotidiennes, depuis 5 ans. L’Office National des Forêts est garant du patrimoine végétal et a géolocalisé chaque arbre, en tirant un diagnostic précis et prospectif pour chaque sujet. Nous en étions à la 5ème réunion publique, à la parution du 5ème exemplaire du journal du projet systématiquement diffusé dans toutes les boîtes aux lettres, sans parler de la consultation des locataires concernés par la réhabilitation lourde de leur immeuble, ou du travail de relogement au cas par cas conduit pour le relogement des familles du quartier des Bruyères, ou des expositions, ou des enquêtes publiques… Bref, nous nous pensions à l’abri d’un bon paquet de reproches possibles, l’architecte de l’immeuble étant l’agence TOPOS qui a déjà réalisé le multi accueil juste en face !
Eh bien, j’en ai vu des réunions publiques difficiles, voire carrément houleuses. Mais c’est la première fois que je vois le leader de la contestation s’installer face à la salle sous l’écran projetant plans et images de synthèse, menant par moment sa propre réunion en même temps que nous, la nôtre ! La première fois que je vois un porte-parole sortir fumer son clope au milieu d’une présentation du projet qu’il entend contester, ou l’interrompant à tout instant en agitant sous le nez de l’architecte un plan compris à l’envers comme preuve contraire de ce qu’il décrivait en réalité. Sportif !
Il a fallu que je me fâche deux ou trois fois pour obtenir le respect au moins pour les professionnels qui étaient là, pour les autres habitants participants à la réunion ou voire même pour moi. A un moment, une dame m’a demandé si l’édification de cet immeuble n’allait pas provoquer une augmentation de sa Taxe d’Habitation. Au moins était-ce une question précise, à laquelle je pensais pouvoir apporter une réponse facile : bien sûr que non, cela n’allait avoir aucune espèce d’incidence. Notre leader de la contestation intervint alors et dit à la dame : « Ne les écoutez pas, de toutes façons, ils n’y connaissent rien ! ». Je lui ai expliqué alors qu’inspecteur des Impôts de métier je devais pouvoir être jugé crédible dans ma réponse. « C’est ceux qui fraudent le plus » conclut-il en faisant de la main le geste explicite qu’on fait pour accuser quelqu’un de s’en mettre plein les poches.
Quel dialogue engager dans ces conditions ?
Ce qui est certain, c’est qu’au-delà du comportement de leur leader autoproclamé, des habitants étaient totalement sincères en jurant qu’ils n’avaient jamais entendu parler de rien. Et de fait, comme cette partie du quartier verra s’améliorer ses espaces publics, que des constructions nouvelles viendront le modifier en bordures, mais sans que les logements existants soient concernés à titre individuels, ils ont pu n’être touchés par aucune communication, aussi soignée et massive que puisse être celle qui a été organisée. Je suis chaque fois étonné, mais il faut le prendre en compte, de constater à quel point nos concitoyens peuvent vivre à l’écart de toute information, inaccessibles aux messages institutionnels, ne réagissant qu’à la pose d’un panneau de chantier de 4 mètres sur trois devant leur fenêtre ou à une visite. On en revient à mon observation sur le boulot de nos amis Amiénois : le porte à porte, le contact direct individualisé devient le seul moyen vraiment fiable de faire passer une info, une conviction ou un projet. Même le tract ajouté à une quittance de loyer ou à une facture de restaurant scolaire peut ne pas être lu et son destinataire jurer en toute bonne fois qu’il n’a jamais eu connaissance des infos qu’il contient. En fait, beaucoup de gens ne se placent en situation de recevoir l’information qu’au moment où il sentent un enjeu pour eux-mêmes : à ce moment, la plus discrète des affichettes est repérée ! A méditer pour l’avenir.
En fait, une chose m’a vraiment embêté dans l’expression de ce qui est une inquiétude réelle qui saisit les gens dès qu’on se propose de modifier un tant soit peu le cadre de vie auquel ils sont habitués (« on sait ce qu’on perd mais pas ce qu’on gagne ») et qui les font se raccrocher qui à la défense des arbres, qui à la dénonciation des promoteurs et du béton pour justifier leur demande que rien ne change. Ce sont les commentaires défavorables sur la mosquée, sous couvert de questions de stationnement qui apparaissaient nettement comme des prétextes. La peur de l’autre et le rejet de la différence accompagnent souvent l’expression des conservatismes et des replis sur soi. Pour y répondre, l’élu responsable, les techniciens qui l’accompagnent, ont grosso modo le choix entre, la pédagogie et la démagogie. Mention reconnaissante, donc, au spécialiste et pédagogue de l’Office National des Forêt qui a instauré un silence respectueux (que ne l’ai-je fait intervenir plus vite !) en expliquant ce qu’il faisait là et en quoi l’accusation de porter atteinte aux arbres n’avait pas lieu d’être dans ce projet. Mention également reconnaissante à mes collègues élues, Florence Février et Myriam Naël qui m’ont très solidairement aidé à faire face et ont tenté de remettre un peu de rationalité dans les échanges. Un démagogue s’est bien manifesté, mais c’est à ses risques et périls. L’effet boomerang, on appelle ça…
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