Il y a quelques années, j’avais coutume de dire que deux choses rendaient fou dans ce bas monde, la télé et le foot et que c’était pour ça que JMA m’avait confié ces deux dossiers à son cabinet !
S’agissant du foot, le débat sur le projet YelloPark ne risque pas de me faire revenir sur un diagnostic il est vrai assez banal.
Je ne sais pas trop s’il convient de s’en réjouir ou de s’en lamenter mais ce que j’avais écrit dans ce blog en juillet 2010 dans le dernier d’une série de cinq articles (Le foot rend fou ! I, II, III, IV, V) et à propos de la création d’ « A la nantaise » me paraît rester pertinent : « Ce mouvement qui traduit quelque chose de profondément sincère en dit long sur l’attachement de nombreux Nantais à ce club, à ce qu’il représente, voire incarne. Il est également un symptôme de cet immense malentendu à la base du titre de cette série : le foot est aujourd’hui un spectacle sportif à but lucratif produit par des sociétés commerciales, générant un business direct et indirect considérable, grâce à la passion que ce jeu inspire à des spectateurs et téléspectateurs qui sont à la fois clients desdites sociétés commerciales et animés par des valeurs qui sont aux antipodes de celles de l’argent-roi (…). Ce qui fait qu’à chaque fois que nous nous passionnons sincèrement pour un match, une équipe ou un club, au stade comme devant notre télé, nous entretenons ce que nous affirmons exécrer. »
Le débat sur le projet YelloPark révèle l’importance d’un aspect de cette appropriation : l’attachement au lieu, au stade, à cet endroit où l’on a vécu des émotions collectives et qui nous renvoie à un moment forcément heureux de notre existence. « Louis-Fonteneau-La Beaujoire c’est chez nous, il nous appartient », nous disent les générations nouvelles de supporters qui n’ont pas connu Marcel Saupin. L’émotion qui les saisit à l’idée de voir disparaître le stade de la soirée du titre de 2001 pour les moins jeunes ou celle de la remontée en Ligue 1 pour les plus récents est indéniable, respectable, même si elle peut paraître irrationnelle aux béotiens du foot. On n’est pas si loin de celle vécue par les habitants de tours ou de barres HLM le jour où la mise en œuvre d’un projet de renouvellement urbain vient imposer leur destruction : cela reste une forme violation de domicile et d’intimité, de destruction symbolique d’un passé que la mémoire vient sagement embellir, quel que soit par ailleurs le mal-vivre qui y était associé.
Déjà entraîneur et sélectionneur, technicien et tacticien émérite, expert en mercato, refaisant le match à l’infini comme d’autres refont le monde (ce n’est d’ailleurs pas incompatible !), voilà notre passionné devenu programmiste, économiste du foot, convaincu de l’incompétence voire de la malfaisance de tous ceux qui veulent toucher à un lieu de quasi-liturgie.
On a dit il y a quelques jours la difficulté de conduire un dialogue constructif sur la base de la négation de la compétence et de la conscience professionnelles des techniciens par les protagonistes dudit dialogue.
Il est évident que le climat actuel de profonde défiance envers les institutions et les autorités, les tendances complotistes qui émergent à tous propos viennent singulièrement compliquer la tâche de ceux qui essayent, en toute sincérité, de conduire un débat rationnel. Il est non moins clair que trop de scandales de natures diverses depuis le nuage de Tchernobyl puis l’affaire du sang contaminé dans les années 80 viennent donner crédit à ces tentations quasi-paranoïaques. Nous autres décideurs institutionnels locaux n’aurions donc qu’à nous en prendre à nous-même – ou à nos pairs fautifs – si notre parole est à ce point dévalorisée aux yeux de tant de nos concitoyens. J’en accepte l’opprobre au moins pour moi-même, même si on ne m‘empêchera pas d’y voir comme une injustice au pire, un amalgame dommageable au mieux !
Mais alors on fait quoi ? Plus rien ? On ne décide plus de rien, si ce n’est de ne rien faire ni changer de peur de se confronter, outre au NIMBY, mais aussi aux surprenantes solidarités qu’il peut générer ? On renonce à agir ? A créer et innover ? A permettre aux initiatives de s’épanouir ? A dialoguer ? Devrions-nous taire notre conviction que cette tentation qui est corollaire de celle de la pause et d’une forme de décroissance, porte en elle les ferments d’un déclin dont les plus fragiles d’entre nous seraient immanquablement les premières victimes ?
Revenons à YelloPark. Si le projet n’aboutissait pas, il ne se passerait apparemment rien. Enfin, pas tout de suite.
La Métropole continuerait à entretenir scrupuleusement son patrimoine, à améliorer ce qui eut l’être dans la limite d’un budget de gros entretien d’1 ou 2 millions d’Euros annuels selon les années et au grand maximum. Nous accueillerions sans doute la Coupe du Monde de Rugby en 2023 puis des matches de foot des JO de Paris 2024. Ce serait la dernière fois. Parce que nous sommes dans un environnement concurrentiel et que les prestations offertes par nos concurrents sont bien supérieures à La Beaujoire, la protection de la pluie pour tous étant le plus basique des exemples. Leurs prestations économiques aussi : les places liées à des espaces réceptifs très profitables seront au moins deux plus nombreuses ailleurs, calcul que ne manqueront pas de faire les organisateurs d’évènements.
Le FCN, privé d’un outil-stade moderne dont les intervenants au premier atelier de la concertation (ceux de la LFP notamment) ont montré le caractère économiquement indispensable pour un club de foot de Ligue 1 ayant quelque ambition, stagnerait au mieux dans sa situation actuelle, faute de capacité à passer à l’échelon budgétaire supérieur, et toujours dans un environnement concurrentiel : jouer l’immobilisme quand les concurrents investissent, c’est risqué, en foot comme dans tous les secteurs économiques…
C’est cela que nos supporters refusent de voir : « offrez-nous du (plus) beau jeu et des résultats et vous aurez plus de spectateurs, ce qui justifiera peut-être un nouveau stade » expliquent-ils en substance. Or dans le jeu de l’offre et de la demande de spectacle sportif, les choses sont un peu inverses…
La question n’est pas de faire venir ou de fidéliser plus de fans acharnés de foot : ils sont déjà là… Il s’agit de convaincre le téléspectateur de quitter la douce quiétude de son salon, où trône un écran full HD sur lequel s’épanouissent des retransmissions de qualité, pour venir au stade avec sa famille, y consommer certes 90 minutes de foot plus ou moins réussies, mais aussi bien d’autres choses qui donnent envie d’arriver 2 heures avant et pas que pour préparer le tifo ! Un stade qui soit aussi support d’activités diverses mais rentables, un lieu qui vive plus que 2 soirs par mois…et permette de dégager les moyens d’améliorer le niveau global du club et de son équipe fanion. A court terme, l’exemple du LOSC montre qu’on peut très bien se planter. Au moins ce ne serait pas, à Nantes, à la collectivité d’assumer financièrement le risque sportif après avoir assumé l’investissement. Mais sur le temps long, ce sont bien les clubs les plus stables, structurés, financièrement bien dotés et équilibrés qui sont les plus pérennes au meilleur niveau…
Le FCN a aujourd’hui un propriétaire qui a tous les défauts du monde mais qui est là depuis 10 ans et qui manifeste de l’envie d’investir encore, ce dont il a assurément les moyens… Que celui qui a un investisseur alternatif offrant autant de garantie sous la main lève le doigt ! De ce point de vue, 2018 ressemble furieusement à 2010…
Non, décidemment, dès lors qu’une rénovation lourde de la Beaujoire n’est qu’une idée agitée par des personnes n’étant en mesure ni de la décider, ni de la financer, ne pas saisir l’opportunité du projet YelloPark serait une erreur qu’on reprocherait à Johanna Rolland dans 5 ou 10 ans. Il nous permet de concilier la mise en œuvre d’une orientation de notre programme : l’affirmation du sport de haut niveau et des grands évènements sportifs internationaux comme facteur de notoriété, d’attractivité et de qualité de vie de notre métropole et le refus que l’argent public local vienne concourir à un modèle économique du foot business qui peut et doit se passer de lui.
Reste le projet urbain associé. L’équation est difficile à résoudre, les équilibres pas faciles à trouver. Les prochaines réunions de concertation seront déterminantes pour peu que chacun rentre dans le projet. Les postures de refus global et de blocage se retourneront immanquablement contre leurs auteurs car elles feront perdre un temps précieux qui doit être consacré à la construction de réponses pertinentes aux questions et inquiétudes légitimes.
Entre gens de bonne foi, mutuellement respectueux et bienveillants.